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les demi-civilisés

cherchant à n’être pas vu, celui qui m’avait livré sa dernière pensée et son dernier soupir.

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Vers le milieu de mes études, ma mère émigrait à Québec, où la pauvreté la conduisait. J’avais dix-sept ans. Nous habitions un logis sordide, dans un quartier grouillant d’enfants et de vermine. Des rats, furtifs et sinistres, passaient devant la porte de service après s’être vautrés dans les poubelles.

La vie fiévreuse, le bruit, la foule, la cohue, les visages crispés et inquiets, tout ce spectacle de rue que j’observais d’une fenêtre, me parut d’abord comme une vision de cauchemar. J’étais émerveillé et ahuri à la fois. Depuis quatre ans, ma vie s’était écoulée partie au collège, partie dans mon village. Je ne connaissais que des enfants, des prêtres, des paysans, dont les physionomies, les noms, les habitudes, les gestes, le parler, même le son de la voix, m’étaient familiers. On me transplantait subitement dans une population affairée, qui sentait l’abattoir. À la tombée du jour, quand la foule sortait, dense et rapide, des magasins, des usines et des