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les demi-civilisés

— Bonjour, mon petit ! Est-ce que ça mord ?

— Vous voyez, lui dis-je. Et je lui montrai ma broche bien garnie.

— Bravo ! Tu es un homme. J’ai toujours pensé que les bons pêcheurs sont des hommes. Il se mit à rire de son bon rire.

— Drôles d’animaux, que les poissons. J’ai rencontré des types qui refusaient de pêcher parce qu’ils trouvaient que c’est lâche de tendre des pièges à des êtres sans défense. Ces gens-là ne comprennent rien à la vie. Le poisson n’a pas pitié des mouches, des papillons et des « ménés ». Ce sont toujours les gros qui mangent les petits, dans l’eau, sur l’eau et sur la terre. Tu apprendras ça en vieillissant. L’important est de n’être pas un petit. Pour la mouche, c’est un malheur que d’être mouche : elle voudrait être poisson. Le poisson, lui, voudrait être un homme, et l’homme faible voudrait être le plus fort. Si tu n’es pas gros, tu seras toujours mangé. Tu n’y échapperas jamais.

Nous longions la rivière. Le soleil couchant lançait des rayons obliques sur les remous, et nos yeux en étaient éblouis. Le vieux continuait à philosopher.

— On m’a dit que tu entrais au séminaire dans quinze jours ? Ça me fait plaisir. Tu vas apprendre un tas de choses que j’ignore. Un homme instruit ! C’est ce que tu seras. J’avais rêvé, quand j’étais petit, d’être instruit. Je me suis consolé de ne pas l’être à force de voir tant de savants qui avaient perdu leur bon sens