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les demi-civilisés

répondre à ses questions, tant ses grands yeux bleus m’intimidaient. Elle m’apprivoisa bien vite en me donnant des sous et des bonbons. Je devins le compagnon de ses courses dans le village et son messager de prédilection. Elle me confiait tout son courrier, et je ne tardai pas à remarquer qu’elle adressait une lettre quotidienne à un homme de la ville, toujours le même.

À la fin de chaque semaine, un monsieur qu’elle appelait son frère venait la visiter, logeant au même hôtel qu’elle. C’était un homme bien mis, un peu maigre, l’air défiant. Je ne l’aimais pas. Mais ma grande amie semblait éprouver tant de joie à le voir que je me montrais toujours empressé pour lui. Ils faisaient tous deux de lentes promenades, le long de la rive. Bras dessus, bras dessous, ils se disaient mille choses que je ne comprenais pas, et ils riaient aux éclats. La chevelure blonde de Marthe flottait sur l’épaule de ce frère mystérieux, et j’en éprouvais une jalousie d’enfant.

Je m’aperçus qu’on trouvait toujours un prétexte pour m’éloigner, quand on arrivait aux environs du Cap Blanc. Tantôt, on me donnait dix sous en me disant d’aller m’acheter des bonbons ; tantôt on m’envoyait chercher des paquets de cigarettes à un magasin situé à un mille du lieu. Je n’avais pas fait deux arpents que le couple avait disparu dans un sentier étroit qui gravissait la falaise.

Monsieur Giles, c’est ainsi qu’il s’appelait, en était à son cinquième voyage et faisait sa promenade coutu-