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les demi-civilisés

bris flottant, je croyais reconnaître la tête noire de ce pauvre Abel.

Assis sur un barillet, comme anéanti, Meunier fut une grosse heure sans parler. Puis il me dit :

— Bouvier, si tu veux, tu seras mon associé. Tu as pris les risques avec nous, il est juste que tu aies ta récompense. Tu remplaceras l’autre. S’il m’arrive de faire fortune, tu auras ta part. Chaque fois que tu seras dans le besoin, tu me trouveras.

Je compris tout de suite que le meurtrier n’était pas certain de mon sommeil. Je pouvais être le témoin. C’est pourquoi il achetait par une promesse mon silence et ma complicité.

La vie s’est ainsi passée. J’étais rivé à mon compagnon, l’assassin. Il me comblait et j’aimais l’argent.

Il apprit que je connaissais son crime la nuit, vous vous rappelez, où, en plein bal, au Château, je me conduisis, envers vous et Dorothée, en goujat. J’étais ivre. Aimant la fille de Luc depuis longtemps et sachant que c’est vous qu’elle aimait, je cédai à la jalousie et résolus d’arracher de force à l’assassin son enfant.

Après cette scène regrettable du bal, je me rendis chez mon ami et lui racontai en détail le drame de sa vie. Je le mis en demeure de choisir entre une dénonciation et le sacrifice de Dorothée. Par malheur, celle-ci était dans la pièce voisine et entendait tout. Elle révéla sa présence par un cri étouffé. Nous accourûmes. Elle était évanouie. Vous savez le reste.