Page:Harvey - Les demi-civilisés, 1934.djvu/212

Cette page a été validée par deux contributeurs.
208
les demi-civilisés

nées plus jeune que mes deux compagnons. Une nuit qu’il faisait gros temps, vers une heure, Abel, sous le vent et l’averse, était de quart sur le pont et surveillait la marche du bateau en même temps que la poursuite possible des navires de la police. On supposait que je dormais, mais notre coque sautait tellement sur la houle que je m’éveillais à tout instant. À un moment, j’entendis Luc qui se levait, mettait vareuse et suroît, et sortait en pieds de bas. « Pourquoi, me disais-je, sort-il en pieds de bas ? » Je ne tardai pas à comprendre. Un cri perça la tempête, puis plusieurs autres cris qui faiblissaient à mesure que nous avancions. Et la voix se tut. Plus rien ! Je n’osais pas bouger. J’avais la certitude qu’un meurtre venait de se commettre là-haut, au-dessus de ma tête, et je me disais que le moindre mouvement que je ferais me coûterait la vie. Un meurtrier supprime les témoins, quand il le peut.

Quelques minutes plus tard, Meunier entrait en coup de vent dans la cabine :

— Bouvier, cria-t-il, lève-toi vite ! Abel n’est plus là. Il est tombé à la mer ! Virons tout de suite ! Il faut le trouver, entends-tu, le trouver à tout prix !

Le reste de la nuit se passa à tourner dans le même cercle. Luc se lamentait, pleurait, s’arrachait les cheveux. On aurait juré que c’était une douleur vraie.

— Mon meilleur ami ! gémissait-il. Mon meilleur ami !

À l’aube, la tempête et la pluie cessèrent. Je fouillais la mer des yeux, en tous sens, et, dans le moindre dé-