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les demi-civilisés

bouillonnant. Bouvier le posa vivement sur la pipe, introduisit l’aiguille dans l’étroite ouverture et la retira aussitôt de façon à laisser la substance trouée sur le fourneau. Puis il approcha la pipe de la flamme, qui lécha la pâte précieuse, pendant qu’il aspirait profondément. Deux ou trois secondes, il garda, en la savourant bien, la fumée dans ses poumons, puis il expira tranquillement par le nez.

— Vous voyez, dit-il. C’est délicieux.

Bouvier continua à causer et à fumer. Il semblait divaguer parfois, mais avec des éclairs de lucidité qui m’étonnaient. Le temps passait, et je ne savais pas encore pourquoi j’étais venu.

— Ça ne vous tente pas d’essayer ? dit-il enfin.

— Non, merci. Je voudrais savoir si c’est pour fumer que vous m’avez fait venir.

— Plût à Dieu que ce ne fût que pour ça. Je ne fume moi-même que pour me donner le courage de vous dire ce que j’ai à vous dire. C’est très grave. C’est nécessaire.

Les yeux de cet homme avaient alors un éclat particulier, à cause de leur pupille agrandie et de leur fixité.

— Vous avez sans doute appris, dit-il, la mort de Meunier. Je puis parler sans danger pour lui. Il y a plus de vingt ans, nous naviguions ensemble sur un yacht de contrebande. Abel Warren, un beau et brave type que j’aimais bien, était avec nous. C’était l’associé de Meunier. Moi, je n’étais qu’un sous-ordre, de plusieurs an-