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les demi-civilisés

— Vous savez bien qu’on ne scandalise que les faibles. Mais je crois que vous prenez là une mauvaise habitude.

— Bah ! pour ce que je vaux… Je m’étais corrigé, un temps. L’été dernier, ça faisait dix ans que je n’avais pas fumé. J’y suis revenu parce que j’en avais trop sur le cœur.

— Et votre santé ?

— Ma santé ne vaut pas cher, pour l’heure. Vous saurez bientôt à quoi vous en tenir, sur ma santé. D’ordinaire, on ne fume pas seul. On fait venir un ou deux amis, qui partagent le plaisir. Pour la joie des yeux, on va chercher une femme bien tournée, que l’on fait étendre sur des coussins, dans le milieu de la chambre. C’est plus oriental. Et vous aspirez la « dope » sept ou huit fois. Vous vous arrêtez à intervalles pour jouir de ce qui se passe en vous. Quel bien-être ! Votre cerveau est d’une lucidité telle que vous comprenez tout et vous souvenez de tout, que vos idées sortent de vous sans effort, que les mots que vous dites ont plus de sens et de clarté. Votre sensibilité se trouve, à un moment donné, logée entièrement à la fine pointe de votre intelligence. Si vous avez à discuter avec quelqu’un, à ce moment-là, vous êtes fantastique. Tenez, je fais comme ceci.

Il saisit l’aiguille, la plongea dans la substance pâteuse pour en détacher une parcelle qu’il fit grésiller au-dessus de la flamme. L’opium devint couleur café,