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les demi-civilisés

Et toutes les voix, comme un orchestre terrible :

— Te souviens-tu de tes morts ?

J’entendis distinctement la grande horloge qui sonnait, qui sonnait si haut que c’en était comme un glas d’église.

Le front appuyé au mur, n’en pouvant plus de tant d’émotions, de tendresses et de terreur, j’éclatai en sanglots.

Comme les larmes tombaient, abondantes, incoercibles, je sentis deux bras doux qui me pressaient sur une poitrine sous laquelle un cœur battait à grands coups : « Max ! Mon petit Max chéri ! » dit une voix apaisante. C’était la voix de ma mère.

Quand je sortis de la maison, j’avais les yeux rouges.

— Je crois que tu as pleuré, dit Lucien.

— Si tu savais tout ce que ces ruines représentent pour moi… Toute ma vie est là. Je me souviens de tout comme d’hier. Tiens, dans la grange que tu vois, à vingt pas, il y avait des nids d’hirondelles. À notre gauche, pas loin, il y avait un puits où l’on faisait refroidir le lait avant l’écrémage. Là-bas, sur la terre, au pied de la colline, vers le nord, un marais où nous nous amusions à prendre des grenouilles et des têtards. Derrière cette colline, un vallon au fond duquel coule un ruisseau entre deux rangées d’aulnes. Plus haut, de l’autre côté du ravin, de vastes plaines où poussaient le blé et l’avoine. De petits bosquets coupent ces champs.