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les demi-civilisés

dans la période artificielle dont je viens de parler, s’échappe de cet état de déformation relative afin d’aller plus loin, beaucoup plus loin, dans le perfectionnement de sa personnalité ; et il se rapproche de nouveau de la nature, cette nature qui est le commencement et la fin de toute valeur humaine portée à son affinement suprême. Le malheur, en ce pays, je le répète, c’est que la plupart s’enlisent dans la période de l’artifice. Plus de quatre-vingt-dix-neuf pour cent des Canadiens instruits sont des primaires. Après leur vingtième année, ils n’apprennent plus rien que la routine de l’expérience et ils ne pensent plus à rien qu’à ce qu’on leur a dit de penser. Ils s’atrophient. Vois-tu la gravité d’une telle situation ? Notre élite, ce qu’on appelle sans ironie notre élite, porte fièrement sa petite provision de connaissances sur l’histoire, les mœurs, la philosophie et les arts du monde. On dirait un éléphant attelé à une brouette d’enfant. Comme toute nourriture spirituelle porte en soi des ferments de dissolution morale, c’est cette dissolution seulement qui agit sur nos pseudo-intellectuels. De là, chez eux, tant de signes de dégénérescence précoce. Je leur préfère de beaucoup les paysans, qui ont gardé la mesure, le bon sens, l’équilibre.

En écoutant Lucien, je revoyais ma petite enfance. Moi aussi, j’étais issu de la terre. J’avais marché dans les labours, à la suite de mon aïeul, vieillard à barbe blanche, qui besognait du petit jour jusqu’au coucher du