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les demi-civilisés

— Notre petite bourgeoisie est toute formée de déracinés. Il suffit de remonter à une ou deux générations pour y rencontrer le paysan. Tout le fond de la race est là. Aussi longtemps que les nôtres sont paysans et demeurent près de la nature, ils possèdent les dons les plus riches de l’humanité : intégrité, douceur, ordre, sacrifice, oubli de soi, sincérité de foi et de mœurs. Le pays leur doit tout. Prenez-les et essayez de leur faire une vie cérébrale, après leurs trois siècles d’atavisme terrien ou forestier. Vous faites d’eux surtout des désaxés. Dans leur champ, ils pensent juste, et leur pensée s’arrête à la limite que leur prescrit l’autorité, non pas parce qu’ils sont dupes ou veules, mais parce qu’ils savent qu’il est nécessaire d’obéir à quelqu’un en ce monde. La soumission du bon sens, quoi. C’est cet esprit qui les a grandis et les a poussés à des actes d’un courage et d’une beauté inouïs. Instruisez maintenant ces hommes si près de la nature. Si vous n’êtes pas en état de les élever jusqu’à la plus haute culture et jusqu’à la plus forte discipline de l’esprit, vous faites d’eux une génération de ratés. Vous créez en leur âme un état artificiel qui, chez les vieilles races, serait considéré comme un acheminement, et qui, chez nous, n’est que trop souvent le terme de la formation. D’une instruction de transition, on fait, chez nous, une éducation cristallisée. L’individu des vieux pays qui tend vers l’élite et qui commence son entraînement intellectuel, une fois entré