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les demi-civilisés

de ton mieux, deviens un beau gars, puis marie-toi. Tu auras de beaux enfants qui te ressembleront. Seulement, ne joue pas avec eux au marin : tu les perdrais sur une île du diable.

Ces paroles me troublaient. Il blasphème sûrement, pensais-je. À quelque temps de là, je révélai à ma mère mes entretiens fréquents avec Maxime. Elle prit une mine effrayée.

— Tu ferais mieux de ne pas le fréquenter, dit-elle. Il ne va pas à la messe.

Depuis, je fis de longs détours pour éviter le vieux marin. J’en avais le cœur gros. Il m’avait paru si bon, si doux, si raisonnable, le père Maxime ! Il m’attirait comme un aimant, et une voix me disait sans cesse : « Tu aimes un damné ! tu aimes un damné ! » Le dimanche, comme j’égrenais mon chapelet, je voyais la face ridée du vieux s’interposer entre la mienne et celle de la Vierge.

Certains soirs, avant mon sommeil, mille fantômes peuplaient mon imagination et prenaient les apparences de la réalité. De grandes processions, bannières en tête, en longues files de chantres et d’enfants de chœur, marchaient au rythme des psaumes, précédant un immense ostensoir d’or tenu par un prêtre tout jeune. Ce prêtre finissait par s’identifier avec moi-même, et je sentais si lourd, si lourd, le fardeau que je portais, que je craignais de le lâcher dans la poussière du chemin. À mesure qu’on avançait, la tentation devenait plus