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les demi-civilisés

— Oui, Max. Dans deux jours, je serai au couvent.

— Tu ne partiras pas ! Je ne veux pas, je ne veux pas ! Tu sais bien que tu n’es pas faite pour cette vie-là. Dans quelques mois, tu sortiras de là désemparée, désaxée, brisée.

— Je n’en sortirai pas vivante. Tu ne me connais donc pas. J’ai de la volonté comme tous les Meunier. Aujourd’hui, je faisais mes adieux à un tas de choses chères. Ce matin, de très bonne heure, j’allais chercher, dans un tiroir, ce coffret d’acajou où j’avais enfermé toutes tes lettres d’amour, ces lettres que tu écrivais si bien et que je relisais vingt fois. J’ai fait une flambée dans la cheminée, et je les ai brûlées, lentement, une à une, savourant mon supplice. Une partie de moi-même s’en allait en fumée. Quand il ne resta plus que la dernière, je l’ouvris du coin, un peu seulement, et lus : « Loulou, mon cher amour… » Je me souvenais du son de ta voix, quand tu disais : « Mon cher amour », et je me suis mise à pleurer. Dans la journée, j’ai monté à cheval, mon beau petit cheval gris, qui m’aime tant. Il froissait joyeusement de ses fines pattes les feuilles mortes de l’automne, dont les couleurs vives éclataient au soleil du matin, un soleil comme je n’en verrai peut-être plus. Je lui disais, à mon cheval : « Jack, c’est ta dernière promenade avec Dorothée. Tu ne viendras plus la surprendre, ta Dorothée, en passant ta longue tête par-dessus son épaule. » Il avait l’air de comprendre. Il ralentissait le pas et tournait vers moi ses yeux