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les demi-civilisés

conques couleur de corail et grosses comme des crânes d’homme. Il avait mouillé dans des ports où les roses s’ouvraient en plein hiver, tandis que des baigneuses, presque nues, se plongeaient dans les baies bleues.

Je lui demandais s’il aurait préféré vivre dans ces contrées.

— Pour ça, non ! disait-il. On ne se détache pas de la neige du pays. Tu ne sais pas comme elle te prend, la neige, quand on a poussé là-dedans. À force de voir du vert, des fleurs, des oiseaux d’été, on se sent comme quelqu’un qui a trop mangé et veut vomir. Quand j’étais petit, je sortais mon traîneau deux mois avant la neige, et je me disais tous les jours : « Pourvu qu’il sacre son camp, cet été-là ! » J’ai toujours gardé mon idée de petit garçon.

Le vieux me questionnait parfois sur mes goûts, mes projets d’avenir. Je lui confiai un jour que je ferais un prêtre.

— Tu veux rire, morveux, dit-il ! Ta famille est la seule du pays, à ma connaissance, qui n’a jamais fait de curé. Tu n’as pas le sang qu’il faut pour ça. Ton oncle Benjamin, que tu n’as pas connu, avait perdu la foi. Du côte de ton père, on aime les femmes, ça court dans tout le canton. Tu tiens des deux. Je vois ça à tes yeux. Et ta tête ? L’as-tu regardée, ta tête ? Est-ce une caboche de curé que ta mère t’a donnée là ? Va mon petit, grandis comme tout le monde, pousse