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les demi-civilisés

avait échappé à ma censure, et je la voyais irréparablement lancée aux quatre coins du pays.

Hermann parlait d’abord, avec amour et vénération, du Christ, pauvre parmi les pauvres, couchant à la belle étoile sur le sable de la Judée, vêtu d’une robe grossière, mangeant des miettes de la table des riches, marchant, maigre, pâle et blond, dans un remous de misérables, de puants, de contagieux, d’esclaves, de lépreux, de quémandeurs et de grognards, enseignant le royaume de Dieu par l’humilité, la résignation et l’espérance, fuyant les opulents, les pharisiens, la cour d’Hérode, bénissant la femme adultère et le publicain, maudissant les hypocrites interprètes de la loi et de la lettre qui tue, les formalistes, les conventionnels, les profiteurs de préjugés et de superstitions. Ce Christ apparaissait sensible et doux comme une femme, fort et terrible comme un lion, divin plus que tous les saints, humain de tout ce qui fait l’homme, avec son composé de faiblesse, de crainte, d’héroïsme et de terreur devant la mort, humain depuis les pleurs sur la tombe de l’ami Lazare jusqu’au cri suprême : « Pourquoi m’avez-vous abandonné ? »

Franchissant les époques historiques d’un bond, Hermann se demandait quel serait le Christ du vingtième siècle avec des temples magnifiques bâtis par l’argent des gueux sous la peur de l’enfer ; avec des biens immenses cotés par la haute finance et ne rendant pas tribut à César, le César honni, à qui le pauvre