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les demi-civilisés

primer leur corps pour en amoindrir la beauté. Elles cherchent même à surnaturaliser, si on peut dire, le sentiment le plus tendre, le plus doux, le plus terrestre que l’être puisse nourrir en ce monde, l’amour de l’enfant pour ses parents. J’ai été témoin d’une scène où une jeune cloîtrée, recevant sans préparation la nouvelle de la mort de sa mère, resta complètement impassible : regard froid et calme, silence et sérénité. On ne saurait pousser plus loin la maîtrise de soi. Je ne puis m’empêcher d’y voir une certaine beauté. J’oubliais de dire que ces femmes ne sont pas fermées à toute émotion. Il n’y a pas de doute que certaines mystiques éprouvent, dans la contemplation d’un crucifix, des sentiments aussi violents que ceux des grandes amoureuses.

— Peu importe ! je suis trop humain pour me résigner à l’idée que Dorothée meure ainsi au monde et détruise en elle-même l’image que je me fais d’elle. Je veux garder intact ce petit être si vivant, si sensible, si vibrant, cette beauté qui suit les lois les plus difficiles de l’esthétique rien qu’à se profiler dans un rayon de lumière.

Comme s’il avait voulu tourner le fer dans la blessure, Lucien continuait :

— On a connu de ces mystiques qui poussaient le désintéressement au point de demander au Créateur d’être privées éternellement de la vue de Dieu, si elles pouvaient ainsi le glorifier davantage.

Tu connais ces conseils que donne aux âmes prédestinées un Jean de la Croix :