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les demi-civilisés


— Lucien, j’ai vu Dorothée, hier.

— Lui as-tu parlé ?

— Oui. Et elle m’a dit qu’elle entrait au couvent.

— Le crois-tu ?

— Je n’ose le croire. Ses idées ne l’y portent sûrement pas, à moins qu’elle ait beaucoup changé. Meunier lui-même ne lâchera pas sa fille unique pour le plaisir de laisser à la communauté son immense fortune.

— Meunier ? Ignores-tu qu’il a passé les vingt dernières années à convoiter les honneurs de marguillier et les décorations du Saint-Siège ? N’a-t-il pas acheté de Rome, plus que leur pesant d’or, deux ou trois titres ronflants qui lui permettent de recevoir, chez nous, le nom d’Excellence ? Tous les ans, il a porté le dais à la Fête-Dieu. Il y paraissait dans un attirail de mélodrame. Il aurait voulu, dit-on, éclipser la cappa rouge du cardinal. Pendant que nos écoles, nos universités, nos malades et nos nécessiteux manquaient de tout, il couvrait certaines œuvres secondaires de billets de banque, pour faire épingler sur sa veste les mille et un colifichets avec lesquels les puissances amusent des vanités généreuses.

— Il est pourtant le fondateur d’une revue libre et indépendante comme la nôtre.