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les demi-civilisés

cassé les deux bras de la déesse. En voici un autre qui a son histoire : la semaine dernière, il demandait à mon libraire un livre de Bourget, en disant : « Vous comprenez, je veux encourager les auteurs canadiens. Ça fait partie de la campagne de « l’achat chez nous ». Celui-là, qui donne la main au gouverneur, c’est le fameux Couvé. Quand il décida de se livrer à la politique, il n’avait que sa culotte, et il la devait. Il « vaut » aujourd’hui cent mille dollars. Il est le roi du patronage. Regarde-moi ce visage de fouine, Maréchal. Il n’y a pas à dire, il n’est pas bête. Il a été élu trois fois de suite par acclamation, et il s’en vante. Il oublie de dire combien il lui en a coûté, chaque fois, pour faire retirer la candidature de son adversaire.

La procession continuait. Lucien avait un trait pour tous. Trois ou quatre seulement trouvèrent grâce. C’étaient des chefs intelligents, dévoués et sincères, qui traînaient derrière eux une cohorte de médiocres, de hâbleurs, de faibles, et, dans plusieurs cas, de prévaricateurs.

— Tu crois que ce spectacle désolant me guérit de la démocratie, ajoutait Lucien. Tu te trompes. Dans la désolation des parlements apparaissent toujours quelques hommes de premier plan, qui dominent par leur intelligence et leur énergie et qui régentent les imbéciles. Un homme par gouvernement, deux au plus, ça suffit. Les cancres eux-mêmes prouvent leur utilité en soignant, chacun, leur petit jardin électoral. La peur