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les demi-civilisés

— Je crois que je me tuerai.

— Tu te tuerais, toi ? Au fait, pourquoi pas ? J’aimerais éternellement la femme qui me donnerait un tel témoignage d’amour. Si tu allais, quelqu’un de ces jours, te jeter dans le fleuve, je pense que cet amour, que je ne puis te donner vivante, je te le donnerais morte. Comprends-tu ? J’élèverais dans mon cœur un autel de porphyre, de feu et d’or à celle qui aurait fait cela pour moi, cela qui est tout, qui est tellement définitif qu’on ne saurait imaginer rien de plus grand, de plus beau, de plus terrible.

— Tu le veux ? Mon cher amour, embrasse-moi une fois, la dernière, et je te jure que, dans quinze jours, je serai morte.

— Attends ! Ne nous touchons plus ! Quand tu seras morte, je crois que je serai capable d’aller te déterrer dans ta tombe pour te le donner, ce dernier baiser, dans la nuit éternelle.

— Tu me fais peur ! Quelle horreur ! Mais non, je t’aime tant ! si tu viens poser tes lèvres sur mes lèvres, je crois que mon corps glacé aura un tressaillement, tant il restera de passion dans cette morte-là.

Elle sortit de chez moi en sanglotant, cette fille minable et chétive qui m’excédait depuis si longtemps, et je frissonnai de la tête aux pieds, car j’eus la sensation que je ne la reverrais plus.

Dumont se tut. Il était comme empoigné, étranglé. Je le pressai :