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les demi-civilisés

quelle venaient battre tous les papillons sortis de l’ombre. Je me souvenais alors des idées de Françoise sur la planche où l’on crucifie les brillants insectes. Toute cette folâtre collection s’agite maintenant dans ma mémoire et bat des ailes. Françoise était venue la première et avait duré quinze jours. Elle était partie sans rancune, en me disant : « Au moins, tu ne m’auras pas trouvée importune. Ni serments ni scènes entre nous. Au revoir, Max ! » Vint aussi une petite brune aux dents très belles et très saines, qui riait d’un rire si clair, si haut, si musical, que la contagion de la gaîté s’emparait de tout son entourage. Et cette poétesse aux yeux verts, grande et mince, qui avait l’esprit d’être la première à rire de ses vers, préférant encore la vie vécue à la vie rimée… Que d’autres encore ! Pauvres visages divers, tous aimés un soir, tous abandonnés dans une atmosphère de mélancolie et de lassitude ! Parmi vous, dont je goûtai le charme éphémère, il y avait de belles âmes. Toutes, vous cherchiez l’amour, vous y aviez foi, et l’amour échappait à vos bras trop faibles pour l’étreindre et le garder…

Je ne tardai pas à m’apercevoir que je faisais violence à ma nature. Je m’étais promis de ne pas me lier, mais chaque fois que mon souffle éteignait une flamme, j’avais l’impression de tuer une chose qui aurait pu devenir fort belle. Il est de ces fins de romans qui doivent laisser dans l’être cruel une parcelle du regret qu’engendre, en l’assassin, le meurtre physique.