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les demi-civilisés

gnarde qui visitait des amis de la ville. Elle me parut belle. Je ne la lâchai plus, je la voulais. Un soir, elle se laissa gagner. Elle était vierge, je vous le jure. Le lendemain, j’eus tant de remords que j’allai me confesser. J’avais l’impression d’avoir commis un meurtre. Ma conscience a toujours de ces délicatesses. Dieu vous garde d’étouffer la voix de votre conscience, misérables ! La jeune fille retourna dans sa famille toute vibrante. Elle m’écrivit des lettres éperdues. Je lui répondais sur le ton du délire. Plusieurs fois elle revint. Plus j’entrais dans son intimité, plus je sentais que je m’éloignais d’elle. Elle ne fut bientôt plus rien pour moi. Pour ne pas la chagriner, je simulai l’amour. Mais ça ne pouvait durer, et, à la fin, je lui dis de rester chez elle, que jamais plus je ne la reverrais… Depuis, je l’ai rencontrée dans la rue. Un squelette ambulant. Je lui avais pris son âme. Hier, elle m’écrivait qu’elle voulait mourir.

— Il ne vous reste plus, dit ironiquement Kathleen, qu’à la pousser au suicide. Avec un drame comme celui-là, vous éprouveriez le plus beau remords de votre vie.

— C’est une idée. Je n’y avais pas pensé.

Nous dansions toujours. Maryse me dit tout bas :

— Est-ce que ce type-là ne vous dégoûte pas ?

— Il m’intéresse par sa folie même. Il est capable de tout. Je veux voir jusqu’où il peut aller.