Page:Harvey - Les demi-civilisés, 1934.djvu/126

Cette page a été validée par deux contributeurs.
122
les demi-civilisés

ayez d’abord une femme, rien qu’une, mais tirez d’elle tout ce qu’elle contient de bonheur, videz-la de son âme en un mot, et si, à ce moment-là, vous l’abandonnez en cours de route, vous ne laisserez derrière vous qu’une ombre, un néant : vous emporterez tout son être en vous-mêmes. Faites cela, et vous pourrez ensuite nous parler des femmes. En attendant, vous ne connaîtrez rien d’elles.

— Oh ! s’écria Maryse, je ne voudrais pas courir le risque de tomber entre les mains de votre Don Juan. Qui aimerait à se faire dévorer par un pareil mangeur de femmes ?

— Est-ce que vous n’avez jamais connu, reprit Hermann, de mangeuses d’hommes ?

— Non ! Sous ce rapport, je suis juive.

On éclata de rire. La riposte n’était pas nouvelle, mais elle venait à propos.

— Il est des talents qui s’ignorent, reprit encore Hermann.

— Il n’a jamais dit si vrai, me murmura Lucien. Maryse est justement de la race des mangeuses d’hommes. Malgré sa frémissante sensibilité, elle me semble incapable d’un attachement profond. Sous ce corps fragile, presque masculin à force d’être mince et sans courbes, je devine des ambitions, des intérêts et du calcul, mais pas d’abandon dans l’amour.

— Je ne te crois pas, lui dis-je.