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les demi-civilisés

sous le faux semblant de l’ordre, de la tradition et de l’autorité. »

Ce discours de mon professeur fit sur moi une impression si profonde que chaque phrase s’est fixée en coulée de bronze dans mon esprit.

Je me suis délivré du réseau ténu des influences qui comprimaient mon cerveau, de la nasse des imitations qui détruisaient mon action personnelle, de la buée des gaz qui empoisonnaient la respiration de mon âme. Je suis devenu moi-même…

En écoutant Lucien, je me plaisais à penser que j’avais devant moi, probablement, l’homme le plus intelligent que l’on puisse rencontrer dans sa carrière.

Il avait été élevé à Métis, petit village de la côte du bas Saint-Laurent, où son œil d’enfant avait suivi, en un songe, le sillage, fait d’écume et de bleu, des barques de pêcheurs. Un jour qu’il s’amusait à faire des pâtés de sable, il eut à partager cet amusement avec une jolie et espiègle fillette, dont les parents étaient en villégiature dans un chalet voisin. Ils devinrent bons amis, se boudant souvent, échangeant parfois des taloches, mais revenant toujours l’un vers l’autre avec des élans de bruyante tendresse. Parmi les touristes qu’ils voyaient passer, ils remarquaient particulièrement un couple de jeunes mariés qui les fascinaient par leur joie sereine, une joie qui émanait d’eux en ondes magnétiques. La fillette, qui sentait confusément ces choses disait à son petit camarade :