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les demi-civilisés

Dans mon enfance pauvre et mystique, j’habitais, avec ma mère, un pays de montagnes et d’eau, où le monde était bon et gai. Les paysans de ma connaissance, propageant l’odeur du cheval et de la vache, avaient, en me rencontrant, le sourire candide des honnêtes gens. Je les aimais bien. Les villageois, moins sympathiques mais plus verbeux, m’amusaient par leurs histoires et leurs cancans.

En été, je parcourais les grèves du fleuve ou escaladais les bords escarpés des rivières en compagnie de petits camarades qui allaient pieds nus, déguenillés, et qui possédaient l’élémentaire intelligence des bêtes. Pour la pêche, la chasse, le pillage des vergers, ils n’avaient pas leurs pareils et possédaient un flair de chiens.

Plus rudes étaient les hivers. Pour se rendre à l’église ou à l’école, on avait souvent de la neige jusqu’à la ceinture. En notre maison rustique, où l’air entrait par les fentes, une glace, qu’il fallait, le matin, rompre avec le poing, couvrait l’eau à boire, dans des seaux de bois. Terre énergique et virile, où la volonté de vivre se fortifiait par le besoin de lutter et de vaincre.

Sur ces hivers flottait une atmosphère de divin. Entre le ciel dur, froid, d’une luminosité de cristal, et le sol tout blanc, strié de la ligne mystérieuse et noire des sapins, éternels arbres du nord, les paysans ne voyaient que leur Dieu. Parce que tout semblait mort, que pas une fleur ne s’épanouissait durant sept mois, que