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les demi-civilisés

per ainsi le temps perdu en souffrances, en alertes et en cafard dans les tranchées… J’eus même la fantaisie de noliser un yacht de luxe avec huit hommes d’équipage. Nos croisières sur la Méditerranée ! Un rêve ! Des couples charmants, de Paris, de New-York, de Vienne, étaient mes invités. Parfois nous causions art et philosophie ; parfois nous faisions danser au clair de lune deux jeunes ballerines russes que nous emmenions avec nous ; parfois nous passions des heures au soleil, dans le plus grand silence, absorbés chacun par la lecture d’un livre de choix. Puis les entretiens recommençaient, plus vifs que jamais. Ah ! comme nous causions bien dans ce temps-là ! Vous imaginez le luxe de vérités originales qui sortaient de tous les paradoxes livrés à la discussion d’hommes et de femmes de haute culture et d’infiniment d’esprit…

Un jour, je m’aperçus que mes capitaux étaient fondus. Me fiant à ma bonne étoile, je jetai dans la spéculation les cinq cent mille francs qui me restaient. Je gagnai. Alors, ma confiance ne connut plus de bornes, et je doublai ma mise. Cette témérité me coûta cher : je perdis tout. Complètement ruiné, je pensai au moyen classique d’en finir, au suicide. Mais la femme que j’aimais m’en empêcha. C’est elle qui me conseilla de venir en Amérique, pour y oublier ce que j’avais été.

Arrivé au Canada depuis deux ans, j’y ai brûlé, à la Bourse, mes derniers mille francs, puis je suis parti pour le nord, avec un prospecteur de mines qui me promet-