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que ça prouve sinon que tu es fort belle, puisque, ayant de pareils goûts, je te mets au-dessus de ma vie même.

— Je ne serai pas toujours belle. Je vieillirai. Quand tout ce qui fait ma beauté… physique sera disparu tu ne voudras même plus me regarder.

— Dorothée, tu me fais là une question qu’une femme ne devrait jamais poser quand, comme toi, elle a devant elle vingt années à venir de beauté, de jeunesse et d’amour.

— Et après vingt ans ?

— Nous aurons vieilli tous les deux ensemble. Le meilleur de notre jeunesse, nous l’aurons dépensé l’un pour l’autre, l’un par l’autre, et si l’ardeur du printemps ne nous brûle plus les veines, nous vivrons en une amitié si forte, si tendre, que nous éprouverons une joie sereine, et bien douce, à nous acheminer, la main dans la main, le cœur débordant de souvenirs comme une urne pleine de parfums, vers la fin qui nous attend tous… Et puis n’en parlons plus !

— J’y pense, moi, même beaucoup. Je me demande ce qu’il faudrait faire pour garder tel qu’il est, avec tout son feu, toute sa richesse, le sentiment que nous avons l’un pour l’autre. Qui sait ? Si je disparaissais tout d’un coup, en pleine jeunesse, si je t’abandonnais là, avec l’image unique de ce que je suis aujourd’hui, tu resterais amoureux de moi toute ta vie.

— Oui, je le resterais. Mais je préfère que tu restes, toi.