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les demi-civilisés

traçai les mots d’une lettre insensée dans laquelle je reprochais à Dorothée son inconcevable décision, et je terminais par cette mise en demeure : « Ou vous ne m’aimez pas ou vous me cachez un terrible secret. Vous me devez la révélation de ce secret, s’il existe, ou bien vous aurez la franchise de me dire que vous ne m’aimez pas. »

Un messager alla servir ce billet et fut prié de me rapporter la réponse.

Il revint, une heure plus tard, avec une enveloppe qui m’était adressée. J’ouvris celle-ci fiévreusement et lus :

« Il vaut mieux que je vous dise que je ne vous aime pas. »

C’était tout. La rédaction même de cette note signifiait assez que Dorothée était bâillonnée. Dans mon affolement, je ne lus que les derniers mots, sans tenir compte des autres. Je tombai dans le désespoir. Il me sembla que ma vie s’en allait, s’écoulait de moi, que je me vidais de ma substance. Ma faculté de penser, mon énergie, mon imagination, plus rien de cela n’existait. Je chavirais dans une nuit infinie. J’étais aboli.

Le soir, je me jetai au lit de fort bonne heure. Je pleurai. Les écluses étaient rompues. La crise finie, la tête me faisait mal ; je la sentais plus lourde. Mille suppositions, toutes plus absurdes les unes que les autres, se heurtaient aux parois de mon cerveau douloureux. J’a-