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C’est par là que s’explique, peut-être, le nombre infime des hommes qui parviennent à la maturité morale. Ici, je ne fais aucune distinction entre l’ignorant et le lettré. Un paysan inculte peut parvenir à maturité. Par contre, des recteurs d’université, accablés de diplômes, de sciences et d’honneurs, restent toute leur vie à l’état de fruits verts. On en a connu plus d’un.

Je dirai plus. Des hommes qui avaient presque du génie, mais qui n’étaient pas vraiment mûris, ont confondu les constructions de leur cerveau avec la réalité, et comme ces constructions étaient splendides, ils se sont mis, tel Trotsky, tels nos mystiques du grand soir, à vouloir y encadrer l’univers, sans tenir aucun compte de la nature, du sentiment, des faits ethniques, des habitudes et encore moins de l’individu. Ce faux intellectualisme nous a valu les douleurs les plus cuisantes de notre ère.

Ne vous représentez pas sous des dehors cruels ou sanguinaires ces soi-disant intellectuels. Ils ne feraient pas de mal à une mouche. Ils se refuseront les plaisirs de la pêche parce que ça fait mal au poisson. Ils seront les premiers à protester contre les cruautés du médecin, contre les cobayes. Ils sont pourtant des destructeurs parce qu’ils s’efforcent de rapetisser le monde à la mesure de cette affreuse camisole de force qu’est leur raison-réalité. Ils ne le pourraient qu’en plongeant les nations dans une mer de sang. Cela s’est vu en Russie, en Allemagne d’avant-guerre et ailleurs. Faisons en sorte que cela ne se voie pas chez nous.

Vous observerez que la plupart des constructions économiques et sociales du faux intellectualisme de l’époque se ressemblent sur un point : ils sacrifient allègrement la liberté humaine. De tous ces réformateurs qui se sont offerts à sauver notre espèce en tuant nos institutions démocratiques, pas un seul n’a pu concilier son système avec la liberté, et c’est pourquoi ils ont tous décidé que l’homme n’avait pas besoin d’être libre.

Or, à mon point de vue, tout système qui se révèle inconciliable avec la liberté est faux à sa face même. Il me

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