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gent par des moyens détournés. Édouard sut, quand il fut grand, que ces envois n’avaient pas commencé tout de suite après le grand départ : ils avaient même retardé de quelques années durant lesquelles le disparu n’avait aucunement manifesté son existence et où la mère avait vécu d’une somme qu’il lui avait laissée, s’ajoutant à son salaire. Elle avait, en effet, repris un emploi de dactylo confiant le petit à la grand’mère.

Quand il eut atteint un certain âge, Édouard exhalait parfois sa rancœur contre le père qui l’avait abandonné. Mais, et il s’en étonnait toujours, sa mère n’avait jamais eu une parole amère pour l’autre. Au contraire, tout en pleurant son départ, elle défendait sa mémoire et lui gardait une tendresse mêlée de respect. Cependant, elle évitait, autant que possible, de parler de lui et l’enfant connaissait bien peu celui qui lui avait donné le jour.

Une fois que sa grand’mère maternelle s’était emportée au point de vitupérer contre son « ex-gendre », ainsi qu’elle l’appelait, la mère d’Édouard s’était écriée :

— Ne parle pas ainsi, maman. Il y a tant de choses que tu ignores !

— Eh bien, il y en a une que je sais, avait répliqué la vieille dame ; c’est que ton mari est un vaurien, un sans-cœur, et que…

— Maman ! avait crié sa fille, je t’en prie, ne parle pas de la sorte. Surtout, en présence d’Édouard. Jamais. Sinon, je serais forcée de ne plus te voir.

L’autre, bonne femme, l’avait apaisée :

— Bon, bon !… L’amour est aveugle !…

Édouard avait donc grandi dans une atmosphère de tristesse, de pleurs réprimés, de quasi-pauvreté.