endormis dans un faux sentiment de sécurité comme le reste de la France. Puis est venu le coup de foudre de l’invasion de la Hollande, de la Belgique, de la France. Comment te raconter l’angoisse des jours que nous avons alors vécus !
V
Quand le gouvernement a quitté Paris, mon mari a refusé de partir. D’abord, parce qu’il était l’un de ces Français pour qui, en dehors de Paris, c’est l’étranger, l’exil, la barbarie, même en France. Il voulait rester pour surveiller nos collections de livres, d’objets d’art, qui étaient vraiment précieuses. Mon mari avait du goût et il avait toujours disposé de fonds, sinon importants, du moins largement suffisants… Ensuite, il était curieux d’observer l’invasion et l’occupation : le romancier songeait aux œuvres qui en sortiraient.
Je le suppliais de s’en aller. Moi, je savais ce dont nazis et fascistes sont capables. Il ne voulait pas me croire, raisonnant que les Boches, pour s’attirer des sympathies surtout en Amérique, se montreraient plutôt magnanimes. Je restai avec lui.
Survint le coup de poignard dans le dos, lorsque l’Italie se jeta à la curée sur la France pantelante. La honte, la douleur, le désespoir que j’éprouvai à apprendre cette bassesse des fascistes ! Ce jour-là, ma vie a changé. L’Eleonora des années antérieures est morte, remplacée par une Nora se donnant, dans l’existence, un but qui la dépassait, je veux dire qui n’était plus elle seule. Je jurais de réparer, si peu que ce fût, le mal que ma patrie d’origine faisait à ma patrie d’adoption. Quelle