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nora l’énigmatique

J’aimais la société de gens dont le cerveau était orné d’autre chose que de fadaises. Des amis intéressants m’entouraient, écrivains, peintres, musiciens aussi il va sans dire. On pérorait beaucoup, chez moi ! Comme j’ai toujours eu une tournure d’esprit indépendante, je ne me faisais pas faute de recevoir des hommes qui avaient des idées personnelles sur toutes choses, en particulier sur le gouvernement du pays. En régime totalitaire, c’est inadmissible. Avec le temps, la police fasciste a fini par considérer mon salon comme un foyer d’intrigues dangereuses à la sûreté de l’État. Pourtant, je t’assure que nous n’étions pas méchants : tout se résumait à des spéculations académiques sur la science de gouverner les hommes. Mais le fascisme, vois-tu, ne laisse subsister aucune pensée qui n’est pas la sienne ; c’est l’enrégimentement absolu des corps et des esprits ; c’est l’esclavage.

IV

Dès lors, j’ai été en butte aux tracasseries, aux visites domiciliaires, à toute cette persécution dont est capable une police politique. À l’opéra, le directeur, fonctionnaire servile du régime, me voyait d’un mauvais œil. Lui aussi me persécutait, m’enlevant une bonne loge pour m’en donner une exécrable, ne me faisant chanter que rarement et me donnant de mauvais rôles. La vie devenait intenable et ma carrière, compromise.

Je n’allais pas me laisser faire ! Comme s’annonçait une nouvelle tournée de concerts à l’étranger, je mis ordre à mes affaires, bien résolue à ne pas rentrer en Italie. Il fallait en sortir ! Les fascistes ne laissent pas aisément échapper leurs victimes. Tu pourrais penser qu’ils seraient heureux de se débarrasser d’une personne