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nora l’énigmatique

La réalité, sans tout détruire de mon rêve, l’a ramené vers la médiocrité. À très peu d’intervalle l’un de l’autre, ma mère et mon père sont morts, alors que j’atteignais à peine ma quatorzième année. Naturellement, je restais sans argent. J’avais encore de la famille, mais pauvre. On m’aurait bien recueillie : il n’était plus question de leçons de chant.

Je n’allais pas me laisser abattre avec tant de facilité. Je résolus de lutter. Il fallait vivre. J’entrai en condition à Naples. Eh oui ! j’ai été domestique, à bien des endroits et dans bien des familles. Ainsi, je gardais mon indépendance jusqu’à un certain point. Je continuais à chanter, ici et là ; je prenais des leçons. Un jour, on m’accepta dans les chœurs, à l’opéra de Naples. J’avais un pied dans la carrière ! Surtout, je pouvais me consacrer uniquement à la musique. J’ai travaillé dur ; j’ai étudié, et avec les meilleurs maîtres. Enfin, j’ai eu un rôle : je sortais de l’anonymat. J’ai eu du succès ; je montais ; trop lentement à mon gré. Vois-tu, et je l’ai compris plus tard, j’avais le talent d’une bonne cantatrice : il me manquait le surcroît qui fait les très grandes chanteuses. À cette époque, je ne m’en rendais pas compte et j’espérais encore arriver aux toutes premières places. D’autant plus qu’on me remarquait. Un impresario m’organisait une tournée de concerts, qui me mena, non seulement en Italie, mais en France, en Belgique, en Suisse, en Europe centrale.

Tu vois que j’étais déjà loin de mes origines. À cette époque, je menais la vie d’une artiste prospère. Loin d’être domestique, j’en avais à mon service. Je m’habillais bien ; j’étais en somme, une élégante. Mais je ne tombais dans aucune bizarrerie.