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Jude s’enfuit hors de la portée de son bras et s’en alla en pleurant, non de douleur, quoiqu’elle fût assez vive ; non même de la découverte qu’il avait faite d’une fêlure dans le système de l’univers, ce qui est bon aux oiseaux de Dieu étant nuisible au jardinier créé par Dieu ; mais il avait la sensation terrifiante de s’être porté le plus grand tort, depuis un an qu’il habitait la commune, et d’être un fardeau pour sa grand’tante durant toute sa vie.

Il y avait, sur son chemin, une quantité de ces vers qui sortent de terre à cette époque de l’année, et il était presque impossible d’avancer sans en écraser quelques-uns. Quoique le fermier Troutham l’eût justement corrigé, Jude était incapable de faire, du mal à qui que ce fût. Il n’avait jamais déniché des oiseaux, sans rester éveillé toute la nuit par la pitié ; et bien souvent, le lendemain matin, il avait remis les captifs dans leur nid. À peine pouvait-il supporter la vue des arbres taillés ou abattus… Cette disposition de caractère, qu’on appelle communément de la faiblesse, révélait qu’il appartenait à l’espèce des hommes destinés à souffrir beaucoup, avant que la chute du rideau sur le spectacle de leur vie inutile ne vienne marquer le moment où tout redeviendra bien pour eux. Il continua sa route sur la pointe du pied, parmi les vers de terre, sans en écraser un seul.

En entrant dans la chaumière, il trouva sa tante vendant un pain de deux sous à une petite fille. La cliente partie, elle demanda :

— Eh bien, pourquoi revenez-vous ici au milieu de la matinée ?

— Je suis renvoyé.