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les voir pour la connaître. Là vivait son âme.

C’étaient des yeux bleus. Bleus comme la brume d’automne dans le lointain, lorsqu’elle se recule au- dessus des bois par un matin ensoleillé de septembre. Un bleu indécis qui ne s’arrêtait pas à la surface, mais semblait se prolonger au dedans.

Excepté ses yeux, sa personne passait inaperçue. Il y a des femmes, dont la forte personnalité peut changer l’atmosphère d’une réunion. Elfride n’était pas de celles-là.

Elle avait le regard pensif de la Madona délia Sedia, sans la volupté qui l’anime. Elle possédait la gravité et la splendeur commune aux femmes, — déesses ou mortelles, — de Rubens, sans leurs chairs débordantes.

L’expression des portraits du Corrège, — cette concentration de pensée trop forte pour les larmes, — passait quelquefois sur son visage; mais en de rares et particulières circonstances.

Le premier écueil de la vie d’Elfride Swancourt, auquel un courant souterrain l’entraînait sans qu’elle sans doutât, fut certainement ce jour d’hiver où elle se trouva, en qualité de maîtresse de maison, face à face avec un jeune homme qu’elle ne connaissait pas et qu’elle considérait avec l’étonnement d’une Miranda et un intérêt qu’elle n’avait, jusqu’alors, accordé à aucun mortel.

Ce jour-là, son père, veuf et vicaire de cette petite paroisse maritime du Bas-Wessex, souffrait d’une attaque de goutte.

Après avoir accompli ses devoirs de maîtresse de maison, Elfride commença à s’agiter. Elle quittait alors la pièce, grimpait le petit escalier de bois et venait heurter à la porte de son père.

— Entrez, répondait chaque fois de l’intérieur une voix joviale.

M. Swancourt, étendu sur son lit et vêtu d’une robe de chambre, laissait échapper des paroles