Page:Haraucourt - La Peur, 1907.djvu/82

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
58
LA PEUR

mât, avant même d’être déployée, claqua de colère. Le capitaine la maîtrisa, et s’assit à la barre, avec le calme du dompteur.

— Tu vois, Colastique, rien à craindre ! Je t’enverrai au Pardon sans que tu attrapes seulement une bolée d’eau.

Néanmoins, dès que la Julie eut dépassé la pointe du petit port et perdu son abri, un coup de vent la coucha : les femmes crièrent ; Toussaint serra la barre contre ses côtes, et rit.

— C’est rien que ça, c’est du vent !

Il fallut prendre un ris, et la besogne était malaisée. Toussaint regretta en secret de n’avoir pas emmené un second matelot : il pouvait encore retourner à terre, et les compagnons de renfort ne lui eussent certes pas manqué ; mais il avait en tête l’orgueil de garder ce lot de femmes pour lui seul, et quatre libations lui avaient chauffé le courage. Il se rassit en criant : « À Dieu vat ! » et sa Julie emporta vers le large la chanson aigrelette des femmes et le rire gras des matelots.

Vers trois milles, une bouffée froide, de mauvais augure, passa, et il la sentit sur sa joue : d’un coup d’œil furtif, il vit l’horizon du