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SUR LA ROCHE

Elle s’était garée derrière la table qui servait de comptoir. Le mâle, debout en face d’elle, les poings appuyés sur le bois, tendait en avant son buste et sa face congestionnée ; la femme, adossée à la muraille, en arrêt et sûre de sa force, le contemplait, sans bouger, sans répondre, et leurs yeux fixes se dardaient des regards immobiles.

Soudain, l’ivrogne allongea ses deux bras, avec deux mains ouvertes vers la chair.

— … brasse-moi !

Son geste avait renversé des bouteilles, et le poing furieux de la commerçante s’écrasa sur son nez. Il perdit l’équilibre, roula ; puis, stupéfait d’être à terre, il passa lentement sur ses moustaches le revers de sa main, qu’il retira toute sanglante.

— Ah ben ! fit-il.

— Dehors, charogne !

Avec lenteur, avec effort, il se releva, sans colère, se mit sur pieds ; il répétait :

— Ça, Anne… Marie… Ça…

— Dehors, que je te dis !

Elle avait ouvert la porte, et, rouge encore de fureur, à cause des bouteilles cassées, elle le toisait, les poings sur les hanches.