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LA PEUR

Lekor, rêvait parfois de prendre entre les deux veuves la place que Moëlan y avait laissée libre ; il y songeait, moins par calcul que par instinct, pour être plus près des bouteilles et pouvoir puiser au tonneau. Il se disait que la vie serait bonne et facile, dans cette maison qui ne manquait de rien : il y trouverait, en rentrant de la mer, un feu pour se sécher, un verre pour se réchauffer, la soupe faite, et un rude morceau de femme !

Eh ! pourquoi non ? Anne-Marie, sans doute, ne le repousserait pas plus qu’autrefois ! Il avait eu jadis de l’amitié pour elle, avant de partir au service ; oui bien, de l’amitié, et même un fort béguin !

En ce temps-là, pourtant, elle n’était que la fille au père Guillou, et ne possédait pas encore son auréole de flacons. Il l’avait désirée quand même, et pour le bon motif, et ce serait menterie de dire qu’elle l’avait rabroué quand il expliquait son caprice, un soir de danse, pendant la fête ; même, il l’avait embrassée et serrée, dans l’ombre, derrière la haie du cimetière…

Depuis lors, il est vrai, on n’avait plus reparlé de tout ça, et ni l’un ni l’autre n’avait