Page:Haraucourt - La Peur, 1907.djvu/62

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
38
LA PEUR

— Vous marquerez ça sur mon compte !

Quand la vieille insistait, il levait le poing, et quand Anne-Marie s’en mêlait, la main levée savait descendre. Il fallut, une fois, lui arracher sa femme qu’il traînait par les cheveux et qu’il pétrissait à coups de pied, dans le ruisseau. Il ne travaillait plus que cinq jours par semaine. Une de ses bordées dura huit jours entiers : les Ponts et Chaussées le licencièrent.

— Eh bien ! quoi ? Je suis pas gêné. Y a du travail, à la grève.

Il prit le canot du père Guillou, avec ses engins, et, faraud, partit pour la pêche. Il connaissait mal la manœuvre, et la côte plus mal encore. Au bout d’un mois, il s’était noyé. Les deux femmes, à l’église, pleuraient à chaudes larmes, à cause du drap noir, de la bière et des chants liturgiques qui impressionnent toujours ; mais, dans le fond du cœur, elles remerciaient le bon Dieu, qui prend pitié des braves gens et qui sait arranger les choses, quand il veut bien.

En effet, la vie redevint meilleure. Les six mois de Moëlan avaient coûté gros, mais l’auberge où l’on ne paie qu’une tournée sur