Page:Haraucourt - La Peur, 1907.djvu/47

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
23
LE SETUBAL

somme, tout d’un coup, comme il était parti. C’était peut-être un pressentiment qu’il avait, mon commandant, quand il m’a passé l’ordre. Moi, je suis allé avec un seul homme pour la barre, car ce n’était pas un cas à faire de l’esbroufe. J’ai mis le canot à l’eau ; après les premières brasses, et quand juste nous venions de ranger le navire, j’ai levé la tête et j’ai vu, là-haut, mon commandant, debout sur la passerelle, avec la dame tout contre lui, et ils se découpaient en plein milieu du ciel bien balayé, avec des étoiles en rond tout autour d’eux.

À la guerre comme à la guerre ! Je n’avais pas le cœur de les blâmer. Après ça, je les ai vu descendre, et j’ai bien imaginé que mon commandant emmenait sa belle dame dans la cabine de l’entrepont, la plus cossue, ma foi, et qui ne servait à personne, étant destinée à recevoir l’amiral ou les princes, quand ils viennent à bord. Bien juste, alors, qu’on y loge le paradis, puisqu’il était chez nous ! Et je trouvais ça tout naturel ! Et je me disais :

— Un malin, mon commandant ! Il ne veut pas qu’on le dérange, et il s’en va dans un endroit où il sera tranquille, au frais.