Page:Haraucourt - La Peur, 1907.djvu/32

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
8
LA PEUR

avait aussi les passions violentes, irréductibles, que l’obstacle irrite comme une insulte, et l’égoïsme sans pitié devant qui rien n’existe, brisant ce qui le gêne et continuant sa route. « Je n’admets pas… Je ne permets pas… » étaient ses formules ordinaires. Il se prisait si haut qu’il faisait peu de distinction entre le reste des vivants, et, sans se donner la peine de dissimuler son mépris, il ne considérait l’humanité que comme un grouillement lointain et vague ; lorsque, par exception ou par nécessité, il s’était montré gracieux envers quelqu’un, il murmurait en manière d’excuse : « Il ne faut pas décourager les chiens. » Il avait fait de cette phrase un proverbe pour son usage. La vie de ses hommes ne comptait pas pour lui, et l’opinion de ses pairs ne comptait pas davantage, puisqu’il ne se connaissait point d’égaux : lui seul était son juge, et ses actes ne relevaient de rien ni de personne, sinon de lui. Mélancolique, en surplus, et fort dissimulé, mais encore plus renfermé, il ne daignait communiquer, à qui que ce fût, ni ses projets ni ses idées : ses actions éclataient brutalement, avec un caractère d’imprévu dont ses camarades furent souvent