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LA PEUR

c’était si affreux, que je croyais avoir sa peau en place de la mienne, et sentir ses coups de langue, et j’en oubliais le mal de mon os cassé.

Mais les bouchers ne s’occupaient plus de lui ; en se promenant de table en table, ils examinaient les autres bêtes ligotées, les expliquaient à l’étranger, et les touchaient avec des outils brillants.

Alors, je m’aperçus que presque toutes ces viandes étaient vivantes, elles aussi : une d’elles miaula épouvantablement, dès qu’on se mit à la fouiller avec les outils.

Un jeune homme disait :

— Moi, c’est toujours sur des chats que j’étudie les réflexes de la douleur : le chat jouit d’un système nerveux plus vibrant, et très subtil.

L’étranger demanda :

— On n’insensibilise donc plus les sujets ?

— Es-tu fou ? Il faut des nerfs vivants pour étudier la vie ; la chair que tu endors ne peut pas te répondre. J’accepte le curare qui est commode pour immobiliser la bête, et qui en fait un morceau de bois, mais de bois sensible, merveilleusement sensible et peut-être même