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LA PEUR

ça me paraît avoir duré longtemps. Ça durerait encore ; mais l’autre nuit, quand il gelait si fort, j’ai eu la maladresse de glisser, et de tomber, à la sortie du théâtre ; je m’étais cassé un os, contre l’angle du trottoir. J’avais bien mal ; il a fallu me dételer, et on m’a aidé à me remettre debout, à coups de pied dans les flancs, tant qu’on a pu.

On a vu mon os cassé, sous la peau, et on a dit que j’étais bon à abattre ; quand j’ai entendu ça, le cœur m’a manqué, à cause de la mort, qui fait peur ; quand, après ça, on m’a ordonné de marcher, j’étais triste ; car je savais bien où il faudrait aller : mais c’est la règle. Je me suis résigné : quand on ne se résigne pas, on n’empêche rien, et on n’attrape qu’un supplément de coups. J’ai donc essayé de marcher, mais je n’ai pas pu, vraiment, malgré ma bonne volonté, et je suis retombé. Alors, on m’a traîné par la bouche, jusqu’au bord de la chaussée, pour que je ne gêne pas la circulation, vous comprenez, et les pauvres gens avaient bien de la peine à me tirer ; j’ai beau ne pas être gras, je suis lourd tout de même, et plus que je ne croyais ; je l’ai appris pendant que je râpais le pavé avec mes