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LES SABOTS DE NOËL

cheval quand il a bu cette odeur-là. Je le crois : on m’en a fait goûter, un jour, à la station, pour rire, et ça m’a brûlé tant que je ne me reconnaissais plus ; je sautais comme un petit imbécile, sans savoir pourquoi, et je ruais contre ma voiture, moi qui suis raisonnable. Alors j’ai bien compris qu’on fait le contraire de ce qu’on veut, quand on a avalé cette chose.

À part cela, mes cochers n’étaient pas méchants ; ils me donnaient à boire, à manger ; j’en ai eu qui me caressaient avec la main, ce qui me faisait bien plaisir, et j’en ai eu aussi qui me comprenaient, quand je leur parlais avec mes yeux.

Tout cela est pour dire que je ne me plains de rien. J’ai même connu des jours heureux, au commencement de ma vie, quand je n’étais pas encore attelé à un sapin ; le métier le plus dur m’est venu au moment où j’avais moins de forces : mais il faut sans doute que ce soit ainsi, puisque c’est toujours ainsi.

Je ne peux pas vous dire pendant combien d’hivers et d’étés je fus cheval de fiacre : je ne sais pas compter ; je sais seulement que