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LA PEUR

Vous m’avez peut-être vu dans les rues, et peut-être je vous ai traîné dans ma voiture, mais vous n’avez pas fait attention à moi, parce que les voyageurs ne s’occupent pas de nous. J’avais un petit trot bien égal, et j’étais toujours de bonne volonté : j’ai reçu des averses sur mon dos, j’ai marché la nuit et sur le verglas, j’ai eu bien froid pendant des heures, à la station, en hiver, et j’ai eu bien chaud en été. Quand j’étais malade, je marchais quand même, vous pensez bien, mais j’avais du mal à me mettre en route : alors les coups de fouet allaient leur train, et aussi les coups de pied d’homme, dans les jambes ou dans le ventre. Je ne m’en plains pas, puisque c’est la règle, et que l’homme a l’habitude de nous battre quand il est ennuyé dans ses affaires.

Et puis, nous faisons nos remarques, et lorsque je devais être battu, je le savais d’avance, par l’haleine du cocher : quand il respirait avec une odeur forte, après avoir bu chez le marchand, j’étais sûr de recevoir des coups. Je ne les méritais pas, mais je ne me fâchais pas non plus, parce que l’homme est peut-être obligé de battre le