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LA BOMBE

ment. À vrai dire, c’est monotone, et je m’ennuierais, sans la ressource de me dire que cette lenteur, fastidieuse pour moi, est infernale pour les emmurés.

Midi approche : c’est la quatorzième heure d’Émile, la onzième de Blasquez.

— Allons manger.

Après un repas sommaire, je rejoins mon poste. Par une fortune providentielle, j’ai trouvé dans la bibliothèque un ouvrage traduit du russe : un jeune aventurier y raconte les affres d’une mission au désert pendant trois jours de soif. Je lirai cela sous mon arbre. L’imagination n’est pas une faculté purement spontanée ; elle demande qu’on l’aide, et elle y gagne. C’est pourquoi j’emporte aussi — ne riez pas — des raisins, une poignée de gros sel, un verre de cristal, une énorme gargoulette d’où l’eau fraîche suinte sous la flanelle mouillée…

Tout le jour, je lis sous mon arbre, je lis la soif, je la relis ; pour exciter la mienne et mieux jouir de la leur, je fume en suçant du sel. Ah ! la magique beauté, alors, d’un verre où l’eau est froide, et qui s’irise quand on le lève vers le ciel, et qui frileusement se ternit