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LA BOMBE

— Des blagues ? Je ne ris plus. C’est de joie que je riais, depuis tantôt, depuis hier, depuis Genève, parce que je te tiens, et qu’elles vont être vengées ! Rappelle-toi, bourreau ! Pour comprendre où tu es, et ce qui t’arrive, et ce qui va l’arriver, rapproche tes souvenirs, confronte les faits. Comment je t’ai découvert ? Par un trait de génie que m’inspirait la haine. Pourquoi je t’ai sauvé ? Pour te réserver à ma propre vengeance. Un anarchiste, moi ? Tu l’as cru, imbécile, nigaud, ma dupe, prétentieux phraseur qui réformais le monde, qui me méprisais, pendant que je jouais avec ta carcasse et ta tête, du bout de la patte !

Droit au chevet du lit, je l’observe, en parlant, mais il ne montre qu’un profil perdu ; je vois ses sourcils qui se froncent, dans un effort d’attention : il cherche à démêler, dans mes propos, la part de vérité à laquelle il doit croire ; l’anxiété commence.

— Tu l’as eue, cependant, ta minute d’intelligence ! Une lueur, et tu as flairé ma haine, au moment où je t’arrachais des doigts le portrait de tes deux victimes : rappelle-toi ! Alors, tu as douté, presque compris, tu t’es