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LA PEUR

d’une maman qui borde son petit. Je te dorlote, mignon ?

Sans plus bouger, il me suit des yeux : il me voit prendre sur le rayon les trois bombes que j’ai moi-même confectionnées naguère, et les tubes que je garnis d’acide, que je fixe à leur place ; la besogne est délicate et longue : je m’y adonne avec une méticuleuse prudence ; j’ai le temps.

Si je ne m’abuse, il doit avoir reconquis sa tête ? Systématiquement je m’abstiens de regarder vers le lit : je travaille comme un homme qui est seul dans sa chambre ; mais si peu que je semble m’occuper du camarade, je ne cesse pas de le surveiller : il est toujours immobile ; j’entends, par intervalles, les ahans de sa respiration gênée par le plomb qui pèse sur ses côtes.

Maintenant, il me voit prendre et transporter des cruches. Il s’intéresse ; il est rentré en pleine possession de ses esprits : je le sens. Je sens aussi qu’il rage : une plaisanterie dont il est la victime offense sa dignité, surtout quand elle émane d’un personnage sans conséquence, comme moi : il médite de m’en châtier, plus tard, et cette pensée me fait sourire de nouveau.