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LA PEUR

gauche de son gilet. Il fume : c’est commencé !

— D’un goût bizarre, ton tabac…

— Je le parfume moi-même, avec une préparation dont j’ai le secret : c’est le tabac de la Vendetta.

Il hausse les épaules : jamais La Ballade ne se résignera à me prendre au sérieux.

Il continue à fumer. Je l’observe. Pour l’occuper, je parle des revanches sociales, du prolétariat qui souffre, de la fraternité humaine, des humbles que nous émancipons : et puisque le monde s’obstine à nous refuser justice, tous les moyens sont légitimes, même l’action directe, pour en arriver à nos fins… Il fume toujours.

— Nous frappons à la porte de l’avenir !

— Vous frappez fort, mon cher Émile, et j’ai un scrupule, moi : quand tu lances une bombe dans la rue, comme tu fis à Barcelone, tu écrabouilles de pauvres diables qui sont nos frères, des femmes, des enfants…

— Tant pis pour eux ! Je t’ai déjà dit que je m’en désintéresse.

— Je veux que tu me le redises.

— L’individu ne compte pas ; les principes seuls existent.