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LA PEUR

— Plus tard, chéries, attendez-moi… Vous voyez : je travaille pour vous.

Je ferme les paupières, pour faire la nuit au fond de moi, et y remettre l’ordre, le calme : car la nuit exaspère les névropathes, mais elle rassérène les sages. Dans mes ténèbres, peu à peu, je redeviens mon maître, avec toutes mes armes retrempées dans l’amour, plus sûr que jamais de ma force et de ma victoire. Je rouvre les yeux. Je suis moi !

Je hèle deux agents :

— Remplacez-nous ici. J’ai à faire. La consigne : que personne ne sorte avant de nouveaux ordres. Vous, en route !

Je m’avance au milieu de la chaussée, que cernent des cordons de troupes. Mon homme me suit ; je l’observe : il fait assez crâne figure et tient le front haut, quoique pâle, d’une pâleur qui ne doit pas lui être ordinaire ; il marche d’un pas décidé parmi ses victimes qu’on ramasse et qu’il n’a pas l’air de voir : son regard vague se promène à hauteur de têtes, au loin, vers les soldats qui nous encerclent. Il est dans une nasse, et je n’ai qu’un signe à faire pour qu’on l’em-