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{PRÉFACE

ses doigts devenait une lyre de l’autre, monde, il se tournait de trois quarts, et chantait en vous regardant : l’atroce peur dont il était rempli sortait de lui en effluves magnétiques, entrait en vous, et les plus sceptiques comme les plus gouailleurs, lorsque leur œil avait rencontré l’œil de cet homme-là, ne savaient plus rire de tout un soir, mais remportaient chez eux les épouvantes d’un mystérieux au-delà…

Aucune tragédienne, aucun orateur, nul autre aède et nulle sibylle n’ont su plus violemment empoigner l’auditeur par ses fibres profondes, le pincer jusqu’à la douleur aiguë, le tordre jusqu’à l’écrasement.

Cette contagion psychique s’exerçait d’autant mieux quelle était moins voulue ; bien loin qu’il jouât d’une force, il en était le jouet, comme les autres, et elle ne subjuguait les autres avec tant de puissance que parce qu’elle le possédait lui-même et tout entier ; un démon habitait en lui, dont il était la proie perpétuelle, et il le promenait par la ville, par les champs, toujours, image d’un Prométhée errant qui déambule avec son aigle intérieur, et qui fait dresser les cheveux sur la tête des hommes, quand par hasard il lève son manteau et leur laisse entrevoir le drame de sa plaie.

La Peur ! La fantastique peur, la peur uni-