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LA PEUR

grèves, on ne meurt pas comme dans les villes : on en a l’habitude, voyez-vous, et ça ne nous dérange guère, vu qu’à tout moment il y en a qui s’en vont dans la mer, et c’est chacun son tour. Il faut ce qu’il faut, et on ne change pas sa destinée, vous pouvez me croire.

Pour lors, le lendemain, j’ai dit à Céline :

— Ma fille, c’est ça et ça ; ton petit ne guérira jamais : il est empoisonné par la boisson. C’est pas ta faute ; mais, plutôt que de le laisser souffrir, il vaudrait mieux lui faire délivrance, n’est-ce pas ?

— Sûr, qu’elle dit, puisqu’on ne peut pas le nourrir, et qu’il a du mal.

— Si tu veux, que je dis, moi je ferai.

Elle m’a répondu :

— Bien sûr que moi je ne ferai pas, parce que je ne pourrais pas ; mais tout de même je vois bien que c’est le mieux et, si tu crois, tu peux faire.

Vous pensez bien, mon cher monsieur, qu’elle en avait, du chagrin, en disant ça, et des larmes tout plein les yeux, malgré qu’elle se tenait, pour être forte et ne pas pleurer.